1、Les Rveries du Promeneur Solitaire Auteur : Jean-Jacques Rousseau Catgorie : Philosophie Me voici donc seul sur la terre, nayant plus de frre, de prochain, dami, de socit que moi-mme. Le plus sociable et le plus aimant des humains en a t proscrit par un accord unanime. Licence : Domaine public PREMI
2、ERE PROMENADE Me voici donc seul sur la terre, nayant plus de frre, de prochain, dami, de socit que moi-mme. Le plus sociable et le plus aimant des humains en a t proscrit par un accord unanime. Ils ont cherch dans les raffinements de leur haine quel tourment pouvait tre le plus cruel mon ame sensib
3、le, et ils ont bris violemment tous les liens qui mattachaient eux. Jaurais aim les hommes en dpit deux-mmes. Ils nont pu quen cessant de ltre se drober mon affection. Les voil donc trangers, inconnus, nuls enfin pour moi puisquils lont voulu. Mais moi, dtach deux et de tout, que suis-je moi-mme ? V
4、oil ce qui me reste chercher. Malheureusement, cette recherche doit tre prcde dun coup doeil sur ma position. Cest une ide par laquelle il faut ncessairement que je passe pour arriver deux moi. Depuis quinze ans et plus que je suis dans cette trange position, elle me para.t encore un rve. Je mimagin
5、e toujours quune indigestion me tourmente, que je dors dun mauvais sommeil, et que je vais me rveiller bien soulag de ma peine en me retrouvant avec mes amis. Oui, sans doute, il faut que jaie fait sans que je men aper.usse un saut de la veille au sommeil, ou plut.t de la vie la mort. Tir je ne sais
6、 comment de lordre des choses, je me suis vu prcipit dans un chaos incomprhensible o je naper.ois rien du tout ; et plus je pense ma situation prsente et moins je puis comprendre o je suis. Eh ! comment aurais-je pu prvoir le destin qui mattendait ? comment le puis-je concevoir encore aujourdhui que
7、 jy suis livr ? Pouvais-je dans mon bon sens supposer quun jour, moi le mme homme que jtais, le mme que je suis encore, je passerais, je serais tenu sans le moindre doute pour un monstre, un empoisonneur, un assassin, que je deviendrais lhorreur de la race humaine, le jouet de la canaille, que toute
8、 la salutation que me feraient les passants serait de cracher sur moi, quune gnration tout entire samuserait dun accord unanime menterrer tout vivant ? PREMIERE PROMENADE Les Rveries du Promeneur Solitaire Quand cette trange rvolution se fit, pris au dpourvu, jen fus dabord boulevers. Mes agitations
9、, mon indignation me plongrent dans un dlire qui na pas eu trop de dix ans pour se calmer, et dans cet intervalle, tomb derreur en erreur, de faute en faute, de sottise en sottise, jai fourni par mes imprudences aux directeurs de ma destine autant dinstruments quils ont habilement mis en oeuvre pour
10、 la fixer sans retour. Je me suis dbattu longtemps aussi violemment que vainement. Sans adresse, sans art, sans dissimulation, sans prudence, franc, ouvert, impatient, emport, je nai fait en me dbattant que menlacer davantage et leur donner incessamment de nouvelles prises quils nont eu garde de ngl
11、iger. Sentant enfin tous mes efforts inutiles et me tourmentant pure perte, jai pris le seul parti qui me restait prendre, celui de me soumettre ma destine sans plus regimber contre la ncessit. Jai trouv dans cette rsignation le ddommagement de tous mes maux par la tranquillit quelle me procure et q
12、ui ne pouvait sallier avec le travail continuel dune rsistance aussi pnible quinfructueuse. Une autre chose a contribu cette tranquillit. Dans tous les raffinements de leur haine, mes perscuteurs en ont omis un que leur animosit leur a fait oublier ; ctait den graduer si bien les effets quils pussen
13、t entretenir et renouveler mes douleurs sans cesse en me portant toujours quelque nouvelle atteinte. Sils avaient eu ladresse de me laisser quelque lueur desprance, ils me tiendraient encore par l. Ils pourraient faire encore de moi leur jouet par que que faux leurre, et me navrer ensuite dun tourme
14、nt toujours nouveau par mon attente d.ue. Mais ils ont davance puis toutes leurs ressources ; en ne me laissant rien ils se sont tout .t eux-mmes. La diffamation, la dpression, la drision, lopprobre dont ils mont couvert ne sont pas plus susceptibles daugmentation que dadoucissement ; nous sommes ga
15、lement hors dtat, eux de les aggraver et moi de my soustraire. Ils se sont tellement presss de porter son comble la mesure de ma misre que toute la puissance humaine, aide de toutes les ruses de lenfer, ny saurait plus rien ajouter. La douleur physique elle-mme au lieu daugmenter mes peines y ferait
16、 diversion. En marrachant des cris, peut-tre, elle mpargnerait des gmissements, et les dchirements de mon corps suspendraient ceux de mon coeur. Quai-je encore craindre deux puisque tout est fait ? Ne PREMIERE PROMENADE Les Rveries du Promeneur Solitaire pouvant plus empirer mon tat, ils ne sauraien
17、t plus minspirer dalarmes. Linquitude et leffroi sont des maux dont ils mont pour jamais dlivr : cest toujours un soulagement. Les maux rels ont sur moi peu de prise ; je prends aisment mon parti sur ceux que jprouve, mais non pas sur ceux que je crains. Mon imagination effarouche les combine, les r
18、etourne, les tend et les augmente. Leur attente me tourmente cent fois plus que leur prsence, et la menace mest plus terrible que le coup. Sit.t quils arrivent, lvnement, leur .tant tout ce quils avaient dimaginaire, les rduit leur juste valeur. Je les trouve alors beaucoup moindres que je ne me les
19、 tais figurs, et mme au milieu de ma souffrance je ne laisse pas de me sentir soulag. Dans cet tat, affranchi de toute nouvelle crainte et dlivr de linquitude de lesprance, la seule habitude suffira pour me rendre de jour en jour plus supportable une situation que rien ne peut empirer, et mesure que
20、 le sentiment sen mousse par la dure ils nont plus de moyens pour le ranimer. Voil le bien que mont fait mes perscuteurs en puisant sans mesure tous les traits de leur animosit. Ils se sont .t sur moi tout empire, et je puis dsormais me moquer deux. Il ny a pas deux mois encore quun plein calme est
21、rtabli dans mon coeur. Depuis longtemps je ne craignais plus rien, mais jesprais encore, et cet espoir tant.t berc tant.t frustr tait une prise par laquelle mille passions diverses ne cessaient de magiter. Un vnement aussi triste quimprvu vient enfin deffacer de mon coeur ce faible rayon desprance e
22、t ma fait voir ma destine fixe jamais sans retour ici-bas. Ds lors je me suis rsign sans rserve et jai retrouv la paix. Sit.t que jai commenc dentrevoir la trame dans toute son tendue, jai perdu jour jamais lide de ramener de mon vivant le public sur mon compte ; et mme ce retour, ne pouvant plus tr
23、e rciproque, me serait dsormais bien inutile. Les hommes auraient beau revenir moi, ils ne me retrouveraient plus. Avec le ddain quils mont inspir leur commerce me serait inspir et mme charge, et je suis cent fois plus heureux dans ma solitude que je ne pourrais ltre en vivant avec eux. Ils ont arra
24、ch de mon coeur toutes les douceurs de la socit. Elles ny pourraient plus germer derechef mon age ; il est trop tard. Quils me fassent dsormais du bien ou du mal, tout mest indiffrent de leur part, et quoi quils fassent, mes contemporains ne seront jamais rien pour moi. PREMIERE PROMENADE Les Rverie
25、s du Promeneur Solitaire Mais je comptais encore sur lavenir, et jesprais quune gnration meilleure, examinant mieux et les jugements ports par celle-ci sur mon compte et sa conduite avec moi, dmlerait aisment lartifice de ceux qui la dirigent et me verrait encore tel que je suis. Cest cet espoir qui
26、 ma fait crire mes Dialogues, et qui ma suggr mille folles tentatives pour les faire passer la postrit. Cet espoir, quoique loign, tenait mon ame dans la mme agitation que quand je cherchais encore dans le sicle un coeur juste, et mes esprances que javais beau jeter au loin me rendaient galement le
27、jouet des hommes daujourdhui. Jai dit dans mes Dialogues sur quoi je fondais cette attente. Je me trompais. Je lai senti par bonheur assez temps pour trouver encore avant ma dernire heure un intervalle de pleine quitude et de repos absolu. Cet intervalle a commenc lpoque dont je parle, et jai lieu d
28、e croire quil ne sera plus interrompu. Il se passe bien peu de jours que de nouvelles rflexions ne me confirment combien jtais dans lerreur de compter sur le retour du public, mme dans un autre age ; puisquil est conduit dans ce qui me regarde par des guides qui se renouvellent sans cesse dans les c
29、orps qui mont pris en aversion. Les particuliers meurent, mais les corps collectifs ne meurent point. Les mmes passions sy perptuent, et leur haine ardente, immortelle comme le dmon qui linspire, a toujours la mme activit. Quand tous mes ennemis particuliers seront morts, les mdecins, les oratoriens
30、 vivront encore, et quand je naurais pour perscuteurs que ces deux corps-l, je dois tre s.r quils ne laisseront pas plus de paix ma mmoire aprs ma mort quils nen laissent ma personne de mon vivant. Peut-tre, par trait de temps, les mdecins, que jai rellement offenss, pourraient-ils sapaiser. Mais le
31、s oratoriens que jaimais, que jestimais, en qui javais toute confiance et que je noffensai jamais, les oratoriens, gens dglise et demi-moines, seront jamais implacables, leur propre iniquit fait mon crime que leur amour-propre ne me pardonnera jamais, et le public dont ils auront soin dentretenir et
32、 ranimer lanimosit sans cesse, ne sapaisera pas plus queux. Tout est fini pour moi sur la terre. On ne peut plus my faire ni bien ni mal. Il ne me reste plus rien esprer ni craindre en ce monde, et my voil tranquille au fond de lab.me, pauvre mortel infortun, mais impassible comme Dieu mme. PREMIERE
33、 PROMENADE Les Rveries du Promeneur Solitaire Tout ce qui mest extrieur mest tranger dsormais. Je n ai plus en ce monde ni prochain, ni semblables, ni frres. Je suis sur la terre comme dans une plante trangre o je serais tomb de celle que jhabitais. Si je reconnais autour de moi quelque chose, ce ne
34、 sont que des objets affligeants et dchirants pour mon coeur, et je ne peux jeter les yeux sur ce qui me touche et mentoure sans y trouver toujours quelque sujet de ddain qui mindigne, ou de douleur qui mafflige. Ecartons donc de mon esprit tous les pnibles objets dont je moccuperais aussi douloureu
35、sement quinutilement. Seul pour le reste de ma vie, puisque je ne trouve quen moi la consolation, lesprance et la paix, je ne dois ni ne veux plus moccuper que de moi. Cest dans cet tat que je reprends la suite de lexamen svre et sincre que jappelai jadis mes Confessions. Je consacre mes derniers jo
36、urs mtudier moi-mme et prparer davance le compte que je ne tarderai pas rendre de moi. Livrons-nous tout entier a douceur de converser avec mon ame puisquelle est la seule que les hommes ne puissent m.ter. Si force de rflchir sur mes dispositions intrieures je parviens les mettre en meilleur ordre e
37、t corriger le mal qui peut y rester, mes mditations ne seront pas entirement inutiles, et quoique je ne sois plus bon rien sur la terre, je naurai pas tout fait perdu mes derniers jours. Les loisirs de mes promenades journalires ont souvent t remplis de contemplations charmantes dont jai regret davo
38、ir perdu le souvenir. Je fixerai par lcriture celles qui pourront me venir encore ; chaque fois que je les relirai men rendra la jouissance. Joublierai mes malheurs, mes perscuteurs, mes opprobres, en songeant au prix quavait mrit mon coeur. Ces feuilles ne seront proprement quun informe journal de
39、mes rveries. Il y sera beaucoup question de moi, parce quun solitaire qui rflchit soccupe ncessairement beaucoup de lui-mme. Du reste toutes les ides trangres qui me passent par la tte en me promenant y trouveront galement leur place. Je dirai ce que jai pens tout comme il mest venu et avec aussi pe
40、u de liaison que les ides de la veille en ont dordinaire avec celles du lendemain. Mais il en rsultera toujours une nouvelle connaissance de mon naturel et de mon humeur par celle des sentiments et des penses dont mon esprit fait sa pature journalire dans ltrange tat o je suis. Ces feuilles peuvent
41、donc tre regardes comme PREMIERE PROMENADE Les Rveries du Promeneur Solitaire un appendice de mes Confessions, mais je ne leur en donne plus le titre, ne sentant plus rien dire qui puisse le mriter. Mon coeur sest purifi la coupe de ladversit, et jy trouve peine en le sondant avec soin quelque reste
42、 de penchant rprhensible. Quaurais-je encore confesser quand toutes les affections terrestres en sont arraches ? Je nai pas plus me louer qu me blamer : je suis nul dsormais parmi les hommes, et cest tout ce que je puis tre, nayant plus avec eux de relation relle, de vritable socit. Ne pouvant plus
43、faire aucun bien qui ne tourne mal, ne pouvant plus agir sans nuire autrui ou moi-mme, mabstenir est devenu mon unique devoir, et je le remplis autant quil est en moi. Mais dans ce dsoeuvrement du corps mon ame est encore active, elle produit encore des sentiments, des penses, et sa vie interne et m
44、orale semble encore stre accrue par la mort de tout intrt terrestre et temporel. Mon corps nest plus pour moi quun embarras, quun obstacle, et je men dgage davance autant que je puis. Une situation si singulire mrite assurment dtre examine et dcrite, et cest cet examen que je consacre mes derniers l
45、oisirs. Pour le faire avec succs il y faudrait procder avec ordre et mthode : mais je suis incapable de ce travail et mme il mcarterait de mon but qui est de me rendre compte des modifications de mon ame et de leurs successions. Je ferai sur moi-mme quelque gard les oprations que font les physiciens
46、 sur lair pour en conna.tre ltat journalier. Jappliquerai le baromtre mon ame, et ces oprations bien diriges et longtemps rptes me pourraient fournir des rsultats aussi s.rs que les leurs. Mais je ntends pas jusque-l mon entreprise. Je me contenterai de tenir le registre des oprations sans chercher
47、les rduire en systme. Je fais la mme entreprise que Montaigne, mais avec un but tout contraire au sien : car il ncrivait ses Essais que pour les autres, et je ncris mes rveries que pour moi. Si dans mes plus vieux jours, aux approches du dpart, je reste, comme je lespre, dans la mme disposition o je suis, leur lecture me rappellera la douceur que je go.te les crire et, faisant rena.tre ainsi pour moi le temps pass, doublera pour ainsi dire mon existence. En dpit des hommes, je saurai go.ter encore le charme de la socit et je vivrai dcrpit avec moi dans un au
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