1、Lenfer, cest les autres 1Quand on crit une pice, il y a toujours des causes occasionnelles et des soucis profonds. La cause occasionnelle cest que, au moment o jai crit Huis clos, vers 1943 et dbut 44, javais trois amis et je voulais quils jouent une pice, une pice de moi, sans avantager aucun deux.
2、 Cest-dire, je voulais quils restent ensemble tout le temps sur la scne. Parce que je me disais que sil y en a un qui sen va, il pensera que les autres ont un meilleur rle au moment o il sen va. Je voulais donc les garder ensemble. Et je me suis dit, comment peut-on mettre ensemble trois personnes s
3、ans jamais en faire sortir lune delles et les garder sur la scne jusquau bout, comme pour lternit. Cest l que mest venue lide de les mettre en enfer et de les faire chacun le bourreau des deux autres. Telle est la cause occasionnelle. Par la suite, dailleurs, je dois dire, ces trois amis nont pas jo
4、u la pice, et comme vous le savez, cest Michel Vitold, Tania Balachova et Gaby Sylvia qui lont joue.Mais il y avait ce moment-l des soucis plus gnraux et jai voulu exprimer autre chose dans la pice que, simplement, ce que loccasion me donnait. Jai voulu dire lenfer cest les autres . Mais lenfer cest
5、 les autres a t toujours mal compris. On a cru que je voulais dire par l que nos rapports avec les autres taient toujours empoisonns, que ctait toujours des rapports infernaux. Or, cest tout autre chose que je veux dire. Je veux dire que si les rapports avec autrui sont tordus, vicis, alors lautre n
6、e peut tre que lenfer. Pourquoi ? Parce que les autres sont, au fond, ce quil y a de plus important en nous-mmes, pour notre propre connaissance de nous-mmes. Quand nous pensons sur nous, quand nous essayons de nous connatre, au fond nous usons des connaissances que les autres ont dj sur nous, nous
7、nous jugeons avec les moyens que les autres ont, nous ont donn, de nous juger. Quoi que je dise sur moi, toujours le jugement dautrui entre dedans. Quoi que je sente de moi, le jugement dautrui entre dedans. Ce qui veut dire que, si mes rapports sont mauvais, je me mets dans la totale dpendance daut
8、rui et alors, en effet, je suis en enfer. Et il existe une quantit de gens dans le monde qui sont en enfer parce quils dpendent trop du jugement dautrui. Mais cela ne veut nullement dire quon ne puisse avoir dautres rapports avec les autres, a marque simplement limportance capitale de tous les autre
9、s pour chacun de nous.Deuxime chose que je voudrais dire, cest que ces gens ne sont pas semblables nous. Les trois personnes que vous entendrez dans Huis clos ne nous ressemblent pas en ceci que nous sommes tous vivants et quils sont morts. Bien entendu, ici, morts symbolise quelque chose. Ce que ja
10、i voulu indiquer, cest prcisment que beaucoup de gens sont encrots dans une srie dhabitudes, de coutumes, quils ont sur eux des jugements dont ils souffrent mais quils ne cherchent mme pas changer. Et que ces gens-l sont comme morts, en ce sens quils ne peuvent pas briser le cadre de leurs soucis, d
11、e leurs proccupations et de leurs coutumes et quils restent ainsi victimes souvent des jugements que lon a ports sur eux. partir de l, il est bien vident quils sont lches ou mchants. Par exemple, sils ont commenc tre lches, rien ne vient changer le fait quils taient lches. Cest pour cela quils sont
12、morts, cest pour cela, cest une manire de dire que cest une mort vivante que dtre entour par le souci perptuel de jugements et dactions que lon ne veut pas changer.De sorte que, en vrit, comme nous sommes vivants, jai voulu montrer, par labsurde, limportance, chez nous, de la libert, cest-dire limpo
13、rtance de changer les actes par dautres actes. Quel que soit le cercle denfer dans lequel nous vivons, je pense que nous sommes libres de le briser. Et si les gens ne le brisent pas, cest encore librement quils y restent. De sorte quils se mettent librement en enfer.Vous voyez donc que rapport avec
14、les autres , encrotement et libert , libert comme lautre face peine suggre, ce sont les trois thmes de la pice.Je voudrais quon se le rappelle quand vous entendrez dire. Lenfer cest les autres .Je tiens ajouter, en terminant, quil mest arriv en 1944, la premire reprsentation, un trs rare bonheur, tr
15、s rare pour les auteurs dramatiques : cest que les personnages ont t incarns de telle manire par les trois acteurs, et aussi par Chauffard, le valet denfer, qui la toujours joue depuis, que je ne puis plus me reprsenter mes propres imaginations autrement que sous les traits de Michel Vitold, Gaby Sylvia, de Tania Balachova et de Chauffard. Depuis, la pice a t rejoue par dautres acteurs, et je tiens en particulier dire que jai vu Christiane Lenier, quand elle la joue, et que jai admir quelle excellente Ins elle a t.