1、Le cercueil de verreQue personne ne dise quun pauvre tailleur ne saurait aller loin, ni parvenir de grands honneurs ! Il lui suffit de frapper la bonne porte et, ce qui est le principal, davoir de la chance.Un jour, un apprenti tailleur de cette sorte, qui tait gentil et adroit et faisait son tour d
2、e compagnon, arriva dans une grande fort o il se perdit, car il ne connaissait pas le chemin. La nuit tomba et il ne lui resta plus qu chercher un gte dans cette horrible solitude. Il se serait sans doute trouv un bon lit sur la mousse molle, si la crainte des btes froces ne lavait pas tourment, et
3、finalement il dut se rsoudre passer la nuit sur un arbre. Il chercha donc un grand chne, grimpa tout en haut et remercia Dieu davoir pour avec lui son fer repasse, car autrement il et t emport par le vent qui soufflait sur la cime des arbres.Au bout de quelques heures passes dans lobscurit non sans
4、crainte et tremblement, il aperut faible distance lclat dune lumire ; pensant quil y avait peut-tre l une maison habite o il serait mieux que sur les branches dun arbre, il descendit avec prcaution et suivit la direction de la lumire. Elle le conduisit une petite cabane qui tait faite de roseaux et
5、de joncs tresss. Il frappa courageusement, la porte souvrit et la clart de la lumire qui filtrait, il vit un petit vieillard chenu, qui portait un habit fait de pices de toutes les couleurs.- Qui tes-vous et que voulez-vous ? lui demanda-t-il dune voix tonnante.- Je suis, rpondit-il, un pauvre taill
6、eur que la nuit a surpris dans cette contre sauvage, et je vous prie instamment de maccueillir dans votre chaumire jusqu demain.- Passe ton chemin, rpliqua le vieillard dun ton maussade, je nai rien faire avec les vagabonds. Va te chercher ailleurs un abri.L-dessus, il voulut se glisser derechef dan
7、s sa maison, mais le tailleur le retint par le pan de son habit et le supplia de faon si mouvante que le vieux, qui ntait pas aussi mchant quil voulait le paratre, finit par sadoucir et le reut dans sa chaumire o il lui donna manger, puis il lui indiqua dans un coin une couche tout fait convenable.F
8、atigu, le tailleur neut pas besoin quon le berce, il dormit paisiblement jusquau matin et naurait mme pas song se lever si un grand vacarme ne let effray. Des cris violents et des mugissements passaient travers la cloison mince de la maison. Saisi dun courage inattendu, le tailleur se leva dun bond,
9、 enfila la hte ses habits et se prcipita dehors. Alors il vit prs de la cabane un grand taureau noir et un cerf magnifique engags dans un combat dune extrme violence. Ils se ruaient lun sur lautre avec une telle fureur que la terre tremblait sous leurs sabots et que lair retentissait de leurs rugiss
10、ements. Cela dura longtemps sans quon puisse prvoir lequel des deux allait emporter la victoire : finalement, le cerf ventra son adversaire dun coup de corne ; aprs quoi le taureau saffaissa en poussant un horrible mugissement et le cerf lacheva.Le tailleur, qui avait suivi le combat avec tonnement,
11、 tait encore plant l quand le cerf se rua sur lui de tout son lan et, avant quil nait pu fuir, le cueillit sans faons avec ses immenses cornes. Il neut gure le temps de rflchir ce qui lui arrivait, car ce fut alors une course folle par monts et par vaux et travers prs et bois. Il se cramponna des de
12、ux mains aux extrmits des bois du cerf et sabandonna son sort : mais il eut tout fait limpression quil senvolait. Enfin le cerf sarrta devant une paroi rocheuse et fit doucement tomber le tailleur terre. Plus mort que vif, il fallut un certain temps celui-ci pour reprendre ses esprits. Quand il se f
13、ut quelque peu remis, le cerf, qui tait rest immobile ct de lui, frappa de ses cornes contre une porte qui se trouvait dans le rocher, et cela avec une telle violence quelle souvrit dun coup. Des flammes en jaillirent, puis une paisse fume qui droba le cerf sa vue. Le tailleur ne savait que faire ni
14、 o diriger ses pas pour sortir de ce dsert et se retrouver parmi les hommes. Tandis quil restait indcis, une voix sleva du rocher qui lui dit :“ Entre sans crainte, il ne tarrivera aucun mal. “ A vrai dire il hsitait, pourtant, pouss par une force secrte, il obit la voix et, franchissant la porte de
15、 fer, il parvint dans une vaste salle dont le plafond, les murs et le sol taient faits de dalles polies sur lesquelles taient gravs des signes inconnus de lui. Il contempla tout cela avec grand tonnement et allait sen retourner quand de nouveau il entendit la voix qui lui disait : “ Va sur la dalle
16、qui se trouve au milieu de la salle, et attends le grand bonheur qui tadviendra. “Son courage stait si bien raffermi quil obit cet ordre. La pierre commena cder sous ses pieds et senfona lentement dans les profondeurs. Lorsquelle simmobilisa et que le tailleur regarda autour de lui, il se trouvait d
17、ans une salle aussi spacieuse que la prcdente, mais qui suscitait plus dintrt et dtonnement. Dans les murs on avait creus des cavits o taient poss des vases de verre transparents remplis dalcool color ou dune fume bleute. Sur le sol, il y avait deux grands coffres de verre placs lun en face de lautr
18、e qui excitrent immdiatement sa curiosit. En sapprochant de lun deux, il vit lintrieur une belle construction semblable un chteau entour de dpendances, dcuries et de granges, ainsi que dune foule dautres choses de ce genre. Tout tait petit mais excut avec infiniment de soin et dlgance et paraissait
19、sculpt par une main habile avec une extrme prcision. Il aurait contempl encore longtemps ces merveilles si la voix ne stait pas nouveau fait entendre. Elle lengageait se retourner et regarder lautre coffre de verre. Quel ne fut pas son tonnement dy voir une jeune fille de la plus grande beaut ! . El
20、le tait tendue comme si elle dormait et ses longs cheveux blonds lenveloppaient tel un manteau prcieux. Ses yeux taient bien clos, mais son teint anim et le mouvement rgulier dun ruban sous sa respiration ne laissaient pas douter quelle ne ft en vie. Le tailleur admirait la belle le cur battant, qua
21、nd soudain elle ouvrit les yeux et tressaillit de joie sa vue.- Juste ciel ! scria-t-elle, ma dlivrance approche ! Vite, vite, aide-moi sortir de ma prison : tire le verrou de ce cercueil de verre et je serai dlivre. Le tailleur obit sans hsiter, et aussitt elle souleva le couvercle de verre, sortit
22、 du cercueil et courut dans un coin de la salle, et l, elle senveloppa dun grand manteau. Puis elle sassit sur une dalle, appela le jeune homme auprs delle, et aprs lavoir tendrement bais sur la bouche, elle lui dit- Mon librateur longtemps dsir, cest le ciel qui dans sa bont ta conduit vers moi pou
23、r mettre un terme mes souffrances ! Le jour mme o elles rendront fin, sera le commencement de ton bonheur. Tu es lpoux que le ciel ma destin et tu passeras ta vie dans une joie paisible, aim de moi et combl de tous les biens terrestres. Assieds-toi et coute le rcit de mon aventure : Je suis la fille
24、 dun riche comte. Mes parents sont morts dans ma tendre enfance et selon leurs dernires volonts on me confia mon frre an auprs duquel je fus leve. Nous nous aimions si tendrement et nous nous accordions si bien par nos gots et nos ides que nous dcidmes tous deux de ne jamais nous marier et de vivre
25、ensemble jusqu la fin de nos jours. Dans notre maison, on ne manquait jamais de compagnie : voisins et amis taient nombreux nous rendre visite et nous offrions tous lhospitalit la plus grande. Ainsi advint-il un soir quun cavalier sen vint au chteau et nous demanda asile pour la nuit sous prtexte qu
26、il ne lui tait plus possible datteindre le prochain village. Nous accdmes sa prire avec une obligeante courtoisie et au cours du souper il nous divertit de la plus charmante faon par sa conversation et les histoires dont il lagrmentait. Mon frre prit tant de plaisir lcouter quil le pria de rester qu
27、elques jours chez nous, ce quoi il consentit aprs quelques protestations. La nuit tait dj bien avance quand nous nous levmes de table et on indiqua une chambre linconnu ; quant moi, ma fatigue tait telle que je me htai de me coucher sous mon mol dredon. A peine tais-je assoupie que je fus rveille pa
28、r les accords dune douce et suave musique. Ne comprenant pas do elle venait, je voulus appeler ma femme de chambre qui dormait dans la chambre voisine, mais mon grand tonnement jeus limpression quune montagne oppressait ma poitrine et je maperus quune force inconnue mavait prive de la parole, car jt
29、ais incapable dmettre le moindre son. Au mme instant, je vis la lueur de la veilleuse linconnu pntrer dans ma chambre, laquelle tait ferme par deux portes solidement verrouilles. Il sapprocha de moi et me dit que grce aux forces magiques dont il disposait, ctait lui qui mavait rveille aux sons de ce
30、tte dlicieuse musique et qu prsent il passait lui-mme travers toutes les serrures pour moffrir et son cur et sa main. Mais ma rpulsion pour ses artifices de sorcier tait si grande que je ne daignais pas lui rpondre. Il demeura quelque temps immobile, probablement dans lattente dune dcision favorable
31、 ; mais comme je continuais me taire, il dclara dune voix furieuse quil se vengerait et trouverait le moyen de punir mon orgueil, et l-dessus, il quitta ma chambre. Je passai la nuit dans la plus vive inquitude et je ne pus trouver le sommeil que vers le matin. A mon rveil, je courus chez mon frre p
32、our lui apprendre ce qui stait pass, mais je ne le trouvai pas dans sa chambre et son serviteur me dit quil tait parti la chasse au point du jour en compagnie de linconnu.Jeus aussitt de mauvais pressentiments. Je mhabillai rapidement, fis seller mon cheval favori et, accompagne seulement dun servit
33、eur, je mlanai au triple galop vers la fort. Le serviteur fit une chute avec son cheval qui se cassa une jambe et il ne put me suivre. Je continuai ma route sans marrter et au bout de quelques minutes, je vis linconnu venant vers moi avec un cerf magnifique quil tenait en laisse. Je lui demandai o i
34、l avait laiss mon frre et comment il avait attrap ce cerf, dont je voyais les grands yeux verser des larmes. Au lieu de me rpondre, il partit dun grand clat de rire. Cela me mit dans une colre folle, je tirai un pistolet et le dchargeai sur le monstre, mais la balle rebondit sur sa poitrine et attei
35、gnit mon cheval la tte. Je fus prcipite terre et linconnu murmura quelques mots qui me firent perdre connaissance. Quand je revins moi, je me trouvais dans un cercueil de verre au fond de cette crypte. Le magicien rapparut et me dit quil avait chang mon frre en cerf, enferm mon chteau et toutes ses
36、dpendances dans lautre coffre de verre aprs les avoir rendus minuscules, et que mes gens, transforms en fume, taient prisonniers dans des flacons de verre. Si je voulais maintenant me soumettre son dsir, il lui serait facile de tout remettre en ltat primitif : il naurait qu ouvrir flacons et coffres
37、 pour que tout reprenne sa forme naturelle. Je ne lui rpondis pas plus que la premire fois. Il disparut et me laissa couche dans ma prison de verre o un profond sommeil menvahit. Parmi les images fugitives qui passrent dans mon me, il y en avait une rconfortante : celle dun jeune homme qui venait me
38、 dlivrer. Et aujourdhui en ouvrant les yeux, je te vois et voici mon rve ralis. Aide-moi accomplir ce quil y avait encore dans cette vision. Pour commencer, nous devons mettre sur cette large dalle le coffre o se trouve mon chteau. Ds quelle eut sa charge, la dalle sleva emportant aussi la demoisell
39、e et le jeune homme et passa dans la salle du haut par louverture du plafond ; de l ils purent facilement atteindre lair libre. Alors la demoiselle souleva le couvercle, et ce fut merveille de voir comment chteau, maisons et dpendances stiraient et grandissaient une vitesse folle jusqu reprendre leu
40、r dimension naturelle. Ils retournrent dans la crypte souterraine et firent remonter la dalle charge des flacons remplis de fume. Ds que la demoiselle les eut ouverts, la fume bleue sen chappa et se changea en tres vivants quelle reconnut pour ses serviteurs et ses gens. Sa joie saccrut encore lorsquelle vit sortir son frre de la fort sous son apparence humaine : ctait lui qui avait tu le magicien chang en taureau. Le mme jour, elle tint sa promesse et accorda sa main lheureux tailleur devant lautel.