1、Petite histoire de la photographie (1931) RsumLe brouillard qui stend sur les commencements de la photographie nest pas tout fait aussi pais que celui qui recouvre les dbuts de limprimerie ; plus distinctement que pour celle-ci, peut-tre, lheure tait venue de la dcouverte, plus dun lavait pressenti
2、; des hommes qui, indpendamment les uns des autres, poursuivaient un mme but : fixer dans la camera obscura ces images, connues au moins depuis Lonard. Lorsque ce rsultat, aprs environ cinq ans defforts, fut accord en mme temps Nipce et Daguerre, ltat, profitant des difficults des inventeurs pour dp
3、oser un brevet, sen saisit et, aprs ddommagement des intresss, en fit chose publique. Ainsi furent poses les conditions dun dveloppement sans cesse acclr, qui excluait pour longtemps tout regard en arrire. Cest pourquoi les questions historiques ou, si lon veut, philosophiques que suggrent lexpansio
4、n et le dclin de la photographie sont demeures inaperues pendant des dcennies. Et si elles commencent aujourdhui revenir la conscience, cest pour une raison prcise. Les ouvrages les plus rcents saccordent sur le fait frappant que lge dor de la photographie lactivit dun Hill ou dune Cameron, dun Hugo
5、 ou dun Nadar correspond sa premire dcennie. Or cest la dcennie qui prcde son industrialisation. Non que, ds les premiers temps, bonimenteurs et charlatans ne se fussent empars de la nouvelle technique pour en tirer profit ; ils le firent mme en masse. Mais ce point appartient plus aux arts de la fo
6、ire o, il est vrai, la photographie a jusqu prsent t chez elle qu lindustrie. Celle-ci ne conquit du terrain quavec la carte de visite photographique, dont le premier fabricant, cest significatif, devint p. 7 millionnaire. Il ne serait pas tonnant que les pratiques photographiques, qui attirent aujo
7、urdhui pour la premire fois les regards sur cet ge dor prindustriel, aient un lien souterrain avec lbranlement de lindustrie capitaliste. Cest pourquoi il nest pas facile, pour connatre vritablement leur nature, de partir du charme des images que nous prsentent les beaux ouvrages rcemment publis sur
8、 la photographie ancienne * Helmuth Th. Bossert et Heinrich Guttmann, Aus der Frhzeit der Photographie, 1840-1870 (200 fig.), Francfort/Main, Societts-Verlag, 1930 ; Heinrich Schwarz, David Octavius Hill, der Meister der Photographie (80 fig.) Leipzig, Insel-Verlag, 1931ds (note de W. B.) . Les tent
9、atives de matriser thoriquement la chose sont extrmement rudimentaires. Et quoique de nombreux dbats aient t mens au sicle dernier ce propos, ceux-ci, au fond, ne se sont pas librs du schma bouffon grce auquel une feuille chauvine, le Leipziger Stadtanzeiger sic, pensait devoir combattre de bonne he
10、ure cet art diabolique venu de France. “ Vouloir fixer les images fugitives du miroir, y lit-on, nest pas seulement chose impossible, comme cela ressort de recherches allemandes approfondies, mais le seul dsir dy aspirer est dj faire insulte Dieu. Lhomme a t cr limage de Dieu et aucune machine humai
11、ne ne peut fixer limage de Dieu. Tout au plus lartiste enthousiaste peut-il, exalt par linspiration cleste, linstant de suprme conscration, sur lordre suprieur de son gnie et sans laide daucune machine, se risquer reproduire les divins traits de lhomme. “ Ici se montre dans toute sa pesante balourdi
12、se le concept trivial d“art“ auquel toute considration technique est trangre et qui sent venir sa fin avec lapparition provocante de la nouvelle technique. Sans sen apercevoir, cest contre ce concept ftichiste et fondamentalement antitechnique que les thoriciens de la photographie se sont battus pen
13、dant prs de cent ans, naturellement sans le moindre rsultat. Car ils nentreprenaient rien dautre que de justifier le photographe devant le tribunal que celui-ci mettait prcisment bas. Un tout autre souffle anime lexpos par lequel le physicien Arago prsente et dfend linvention de Daguerre, le 3 juill
14、et 1839 devant la Chambre des dputs. Cest la beaut de ce discours que de tisser des liens avec tous les aspects de lactivit humaine. Le panorama quil esquisse est suffisamment ample pour que limprobable justification de la photographie face la peinture, qui ne manque pas non plus, paraisse insignifi
15、ante, alors que se dvoile lide de la vritable porte de linvention. “ Quand p. 8 des observateurs, dit Arago, appliquent un nouvel instrument ltude de la nature, ce quils en ont espr est toujours peu de chose relativement la succession de dcouvertes dont linstrument devient lorigine. “ Le discours dp
16、loie grands traits le domaine de la nouvelle technique, de lastrophysique la philologie: ct de la perspective de photographier les toiles, on rencontre lide denregistrer un corpus de hiroglyphes gyptiens. Texte intgralLe brouillard qui stend sur les commencements de la photographie nest pas tout fai
17、t aussi pais que celui qui recouvre les dbuts de limprimerie ; plus distinctement que pour celle-ci, peut-tre, lheure tait venue de la dcouverte, plus dun lavait pressenti ; des hommes qui, indpendamment les uns des autres, poursuivaient un mme but : fixer dans la camera obscura ces images, connues
18、au moins depuis Lonard1. Lorsque ce rsultat, aprs environ cinq ans defforts, fut accord en mme temps Nipce et Daguerre, ltat, profitant des difficults des inventeurs pour dposer un brevet, sen saisit et, aprs ddommagement des intresss, en fit chose publique2. Ainsi furent poses les conditions dun dv
19、eloppement sans cesse acclr, qui excluait pour longtemps tout regard en arrire. Cest pourquoi les questions historiques ou, si lon veut, philosophiques que suggrent lexpansion et le dclin de la photographie sont demeures inaperues pendant des dcennies. Et si elles commencent aujourdhui revenir la co
20、nscience, cest pour une raison prcise. Les ouvrages les plus rcents3 saccordent sur le fait frappant que lge dor de la photographie lactivit dun Hill ou dune Cameron, dun Hugo ou dun Nadar correspond sa premire dcennie4. Or cest la dcennie qui prcde son industrialisation. Non que, ds les premiers te
21、mps, bonimenteurs et charlatans ne se fussent empars de la nouvelle technique pour en tirer profit ; ils le firent mme en masse. Mais ce point appartient plus aux arts de la foire o, il est vrai, la photographie a jusqu prsent t chez elle qu lindustrie. Celle-ci ne conquit du terrain quavec la carte
22、 de visite photographique, dont le premier fabricant, cest significatif, devint p. 7 millionnaire5. Il ne serait pas tonnant que les pratiques photographiques, qui attirent aujourdhui pour la premire fois les regards sur cet ge dor prindustriel, aient un lien souterrain avec lbranlement de lindustri
23、e capitaliste6. Cest pourquoi il nest pas facile, pour connatre vritablement leur nature, de partir du charme des images que nous prsentent les beaux ouvrages rcemment publis7 sur la photographie ancienne * Helmuth Th. Bossert et Heinrich Guttmann, Aus der Frhzeit der Photographie, 1840-1870 (200 fi
24、g.), Francfort/Main, Societts-Verlag, 1930 ; Heinrich Schwarz, David Octavius Hill, der Meister der Photographie (80 fig.) Leipzig, Insel-Verlag, 1931ds (note de W. B.) . Les tentatives de matriser thoriquement la chose sont extrmement rudimentaires. Et quoique de nombreux dbats aient t mens au sicl
25、e dernier ce propos, ceux-ci, au fond, ne se sont pas librs du schma bouffon grce auquel une feuille chauvine, le Leipziger Stadtanzeiger sic, pensait devoir combattre de bonne heure cet art diabolique venu de France. “ Vouloir fixer les images fugitives du miroir, y lit-on, nest pas seulement chose
26、 impossible, comme cela ressort de recherches allemandes approfondies, mais le seul dsir dy aspirer est dj faire insulte Dieu. Lhomme a t cr limage de Dieu et aucune machine humaine ne peut fixer limage de Dieu. Tout au plus lartiste enthousiaste peut-il, exalt par linspiration cleste, linstant de s
27、uprme conscration, sur lordre suprieur de son gnie et sans laide daucune machine, se risquer reproduire les divins traits de lhomme8. “ Ici se montre dans toute sa pesante balourdise le concept trivial d“art“ auquel toute considration technique est trangre et qui sent venir sa fin avec lapparition p
28、rovocante de la nouvelle technique. Sans sen apercevoir, cest contre ce concept ftichiste et fondamentalement antitechnique que les thoriciens de la photographie se sont battus pendant prs de cent ans, naturellement sans le moindre rsultat. Car ils nentreprenaient rien dautre que de justifier le pho
29、tographe devant le tribunal que celui-ci mettait prcisment bas. Un tout autre souffle anime lexpos par lequel le physicien Arago prsente et dfend linvention de Daguerre, le 3 juillet 1839 devant la Chambre des dputs. Cest la beaut de ce discours que de tisser des liens avec tous les aspects de lacti
30、vit humaine. Le panorama quil esquisse est suffisamment ample pour que limprobable justification de la photographie face la peinture, qui ne manque pas non plus, paraisse insignifiante, alors que se dvoile lide de la vritable porte de linvention. “ Quand p. 8 des observateurs, dit Arago, appliquent
31、un nouvel instrument ltude de la nature, ce quils en ont espr est toujours peu de chose relativement la succession de dcouvertes dont linstrument devient lorigine9. “ Le discours dploie grands traits le domaine de la nouvelle technique, de lastrophysique la philologie: ct de la perspective de photog
32、raphier les toiles, on rencontre lide denregistrer un corpus de hiroglyphes gyptiens. Les clichs de Daguerre taient des plaques argentes recouvertes diode exposes dans la camera obscura, quil fallait incliner en tous sens jusqu ce que, sous un clairage appropri, lon puisse reconnatre une image dun g
33、ris tendre10. Elles taient uniques ; une plaque cotait en moyenne 25 francs-or en 1839. Il ntait pas rare quon les conservt comme des bijoux dans des crins. Mais dans la main de nombreux peintres, elles devinrent une technique dappoint. Tout comme Utrillo, soixante-dix ans plus tard, devait excuter
34、ses fascinantes vues des maisons de la banlieue de Paris non sur le vif, mais daprs cartes postales, lAnglais David Octavius Hill, portraitiste renomm, ralisa une longue srie de portraits pour sa fresque du synode de lglise cossaise. Mais il fit ces photographies lui-mme11. Et ce sont ces images san
35、s valeur, simples auxiliaires usage interne, qui confrent son nom sa place historique, alors quil sest effac comme peintre12. Sans doute, plus encore que la srie de ces ttes en effigie, quelques tudes nous font pntrer plus profondment dans la nouvelle technique : non des portraits, mais les images d
36、une humanit sans nom. Ces ttes, on les voyait depuis longtemps sur les tableaux. Lorsque ceux-ci demeuraient dans la famille, il tait encore possible de senqurir de loin en loin de lidentit de leur sujet. Mais aprs deux ou trois gnrations, cet intrt steignait : les images, pour autant quelles subsis
37、taient, ne le faisaient que comme tmoignage de lart de celui qui les avait peintes. Mais la photographie nous confronte quelque chose de nouveau et de singulier : dans cette marchande de poisson de Newhaven13, qui baisse les yeux au sol avec une pudeur si nonchalante, si sduisante, il reste quelque
38、chose qui ne se rduit pas au tmoignage de lart de Hill, quelque chose quon ne soumettra pas au silence, qui rclame insolemment le nom de celle qui a vcu l, mais aussi de celle qui est encore vraiment l et ne se laissera jamais compltement absorber dans l“art“. “ Et je demande : comment la parure de
39、ces cheveux/Et de ce regard a-t-elle envelopp les tres passs !/Comment a embrass ici cette bouche o le p. 9 dsir/Absurde comme fume sans flamme senroule14! “ Ou bien lon dcouvre limage de Dauthendey15, le photographe, pre du pote, lpoque de ses fianailles avec la femme quil trouva un jour, peu aprs
40、la naissance de son sixime enfant, les veines tranches dans la chambre coucher de sa maison de Moscou16 fig. 2. “K. Dauthendey et sa fiance, le 1 er septembre 1857“, Saint-Ptersbourg, autoportrait. On la voit ici ct de lui, on dirait quil la soutient, mais son regard elle est fix au-del de lui, comm
41、e aspir vers des lointains funestes. Si lon sest plong assez longtemps dans une telle image, on aperoit combien, ici aussi, les contraires se touchent : la plus exacte technique peut donner ses produits une p. 10 valeur magique, beaucoup plus que celle dont pourrait jouir nos yeux une image peinte.
42、Malgr toute lingniosit du photographe, malgr laffectation de lattitude de son modle, le spectateur ressent le besoin irrsistible de chercher dans une telle image la plus petite tincelle de hasard, dici et maintenant, grce quoi la ralit a pour ainsi dire brl de part en part le caractre dimage le beso
43、in de trouver lendroit invisible o, dans lapparence de cette minute depuis longtemps coule, niche aujourdhui encore lavenir, et si loquemment que, regardant en arrire, nous pouvons le dcouvrir17. Car la nature qui parle p. 11 lappareil est autre que celle qui parle loeil18 ; autre dabord en ce que,
44、la place dun espace consciemment dispos par lhomme, apparat un espace tram dinconscient. Sil nous arrive par exemple couramment de percevoir, fut-ce grossirement, la dmarche des gens, nous ne distinguons plus rien de leur attitude dans la fraction de seconde o ils allongent le pas. La photographie e
45、t ses ressources, ralenti ou agrandissement19, la rvlent. Cet inconscient optique, nous ne le dcouvrons qu travers elle, comme linconscient des pulsions travers la psychanalyse. Les structures constitutives, les tissus cellulaires avec lesquels la technique ou la mdecine ont coutume de compter tout
46、cela est au dpart plus proche de lappareil photo quun paysage vocateur ou un portrait inspir. Mais en mme temps, la photographie dvoile dans ce matriel les aspects physiognomoniques, les mondes dimages qui habitent les plus petites choses suffisamment expressifs, suffisamment secrets pour avoir trou
47、v abri dans les rves veills, mais qui, ayant chang dchelle, devenus nonables, font dsormais clairement apparatre p. 12 la diffrence entre technique et magie comme une variation historique. Ainsi Blossfeldt * Karl Blossfeldt, Urformen der Kunst (intr. Karl Nierendorf), 120 fig., V. Ernst Wasmuth, Berlin 1928 (note de W. B.), avec ses tonnantes photos de plantes, a rvl la vue, sous la prle, la forme des colonnes antiques, sous la fougre, la crosse piscopale, derrire des pousses de marronnier ou drable